Les premières semaines du printemps l’ont montré, les tiques n’ont pas l’intention de se confiner. Au contraire, à l’issu d’un hiver particulièrement doux, elles semblent en recrudescence et nombreux sont les éleveurs qui signalent des animaux infestés. Voici donc l’occasion de faire un point sur la bio-écologie de ces acariens, prérequis pour une stratégie de lutte efficace. Nous ferons également un focus synthétique sur deux maladies qu’elles transmettent : la piroplasmose et l’ehrlichiose.

Le Limousin, un lieu de vie idéal pour les tiques

La famille des tiques regroupe de nombreuses espèces qui se répartissent sur les différentes latitudes selon leurs préférences en termes de climat (notamment d’humidité et de température) et de biotope (forêt vs milieu ouvert). De la même manière, leur activité (et leur survie) va dépendre de ces paramètres, et sera donc saisonnière.

Ces différentes espèces possèdent certaines caractéristiques remarquables en commun :

  • Elles se nourrissent exclusivement de sang (= hématophages) et ont une capacité de jeûne très importante (un seul repas peut permettre à une tique de vivre jusqu’à 18 mois)
  • Elles ont un cycle évolutif en 4 stades : œuf à larve à nymphe à adulte
  • Un habitat double : une partie courte du cycle se déroule sur un animal, le reste de la vie de la tique se fait dans le milieu extérieur
  • Une fâcheuse tendance à se fixer dans les zones du corps les moins visibles et accessibles (pli de l’aine, aisselle, zone périnéale et mamelle, entre les membres antérieurs, etc.). Ces zones présentent souvent une peau fine et constituent un lieu idéal pour prendre un repas de sang.

En France, 3 espèces majeures sont présentes. Sur la zone d’activité d’Opalim (Limousin et Charentes), 2 d’entre elles sont très majoritaires : Ixodes ricinus et Dermacentor reticulatus

Ixodes ricinus est l’espèce la plus abondante en France et dans notre région. C’est une tique dont la survie et l’activité sera maximale dans les milieux humides. En revanche, elle n’apprécie pas les climats chauds. On la trouve donc partout en France sauf dans le pourtour méditerranéen. Son milieu de vie de prédilection est fait de forêts de feuillus, de sous-bois moussus, de clairière et de prairies humides en lisière de bois (= les fameux « prés à tiques »). Le Limousin lui convient donc parfaitement. Son idéal de température est de 12 degrés.

Dermacentor reticulatus apprécie les milieux humides mais tolère assez bien les milieux secs également. Elle vit dans un paysage plutôt ouvert (moins boisé), avec des collines. Son optimum de température est de 18 degrés.

 

Une activité renforcée au printemps et à l’automne

Le cycle de vie des tiques, c’est-à-dire de l’œuf à l’adulte, diffère légèrement selon les espèces mais pour celles qui nous concernent, il est très semblable. Les caractéristiques principales sont les suivantes :

  • Une différence de taille marquée entre chaque stade (cf. figure ci-joint) et chaque sexe.
  • 3 hôtes au cours du cycle (un hôte par stade et un seul long repas par hôte)
  • Des hôtes potentiels nombreux pour les stades larve et nymphe (petits rongeurs, lapins et lièvres, renards, hommes, oiseaux) mais assez spécifiques pour le stade adulte (chevreuils et vaches pour ricinus, chien ou vache pour D. reticulatus ; les tiques observées sur les vaches sont donc des stades adultes).
  • Une activité saisonnière des adultes avec 2 pics importants :
    • Avril / Mai
    • Septembre / Octobre

Le cycle est simple et répétitif : la larve cherche un hôte et se positionne à l’affût sur un brin d’herbe, prête à s’accrocher afin de prendre son repas de sang puis elle tombe au sol et mue en nymphe. La nymphe reproduit le même processus et mue en adulte. La tique adulte femelle va se gorger de sang, s’accouple avec un mâle au sein de l’hôte puis tombe. Elle va se mettre à l’abri, pondre ses œufs et meurt (voir figure ci-contre). Les œufs écloront en larves et le cycle recommence.

Toutes les tiques n’arrivent pas à mener à bien ce cycle car, comme toute espèce, elle est régulée par ses prédateurs (oiseaux, rongeurs) et par des conditions climatiques difficiles (sécheresse, gel). Néanmoins, avec le nombre important d’œufs puis de stades intermédiaires, il y a suffisamment d’adultes pour faire perdurer l’espèce.

Les durées signalées au-dessus des flèches rouges représentent le temps minimal nécessaire pour passer d’un stade à un autre. En conditions défavorables (hiver et été), ces durées peuvent être fortement allongées grâce au jeûne. Le cycle complet peut ainsi durer bien au-delà d’un an ! Cela signifie que les tiques adultes actuellement observées sur les animaux sont nées au plus tôt l’année dernière.

Un rôle vectoriel majeur !!

Les tiques ont un rôle pathogène de 2 ordres :

  • Le premier est direct, il découle de l’ensemble du processus d’alimentation sur l’hôte : action parasite (perte de sang pour l’animal à anémie), action mécanique et irritative (inflammation et risque de surinfection bactérienne au point de piqûre), action toxique (toxines dans la salive des tiques pouvant engendrer une paralysie de l’animal).
  • Le second, autrement plus grave et important, est indirect. Il découle de leur capacité, par le biais du repas du sang, à s’infecter puis à transmettre des agents infectieux divers et variés, parmi lesquels ceux à l’origine des maladies suivantes : Piroplasmose, Ehrlichiose, Anaplasmose, Maladie de Lyme, Fièvre Q, Encéphalite à tique. Notons que ce rôle de transmission est facilité par l’existence, à minima pour la piroplasmose et l’ehrlichiose, d’une transmission dite « trans-stadiale » au sein de la tique (larve à nymphe et nymphe à adulte) mais également « trans-ovarienne » (de la femelle adulte à l’œuf). Cela signifie donc que lorsqu’un stade évolutif de la tique se contamine sur un bovin porteur, les stades évolutifs suivants et la descendance sera également porteuse.

Les tiques jouent donc un rôle de vecteur majeur pour de nombreuses maladies. Faisons plus ample connaissance avec 2 d’entre elles : la piroplasmose et l’ehrlichiose.

 

Carte d’identité de la Piroplasmose et de l’Ehrlichiose 

  PIROPLASMOSE BOVINE

(= BABESIOSE)

EHRLICHIOSE GRANULOCYTAIRE BOVINE

(= FIEVRE DES PÂTURES)

Agent infectieux Babesia divergens Anaplasma phagocytophylum
Localisation Globules rouges (= hématies) Globules blancs
Aspect microscopique
Mode d’action Destruction des globules rouges Destruction des globules blanc à immunodépression
Symptômes principaux  

–          Urines rouges à noires (« pissement de sang »)

–          Diarrhée en cordes

–          Fièvre > 40 ° C (avortement possible) pendant 2 jours

–          Baisse de l’appétit

–          Muqueuses blanches ou jaunes (sub-ictère)

–          Anémie

–          Mort possible

 

–          Forte fièvre (41 à 42 ° C)

–          Avortement fréquent

–          Troubles respiratoires (toux, fréquence respiratoire augmentée)

–          Œdème des pâturons +/- boiterie

–          Arrêt de l’alimentation

–          Forte baisse de production de lait

–          Fragilité immunitaire

Animaux touchés Adultes > 2,5 ans principalement Adultes
Saisonnalité Printemps et automne Printemps et automne
Diagnostic –          Clinique essentiellement

–          Etalement de sang éventuellement

–          Clinique

–          PCR sur sang / avorton / écouvillon du col

–          Sérologie (au bout de 21 j)

Traitement –          Imidocarbe (Carbésia® ; IM)

–          Transfusion sanguine

–          Oxytétracycline (antibiotique)

 

Stratégie de lutte : doit-on confiner les génisses au bâtiment ?

Avec un hiver 2019-2020 très doux et un printemps précoce, les tiques semblent plus que jamais d’actualité. A plus forte raison car les chevreuils, qui sont l’un des hôtes potentiels principaux de l’adulte d’Ixodes ricinus, sont abondants. Et les maladies que nous venons de voir sont régulièrement observées.

Comment alors lutter efficacement contre les tiques ?

Celle-ci passe par plusieurs axes complémentaires.

  • Un premier axe « agronomique » :

Il s’agit de gyrobroyer autant que possible les hautes herbes, buissons, refus et fougères que l’on trouve au sein de nos parcelles à risque. En complément, il faudrait dans l’idéal mettre en place une clôture temporaire pour éloigner les animaux de la lisière de la forêt, créant ainsi un espace « de sécurité ».

  • Un second axe « chimique » :

Bien que l’arrachage manuel reste possible et peut suffire en cas d’infestation visible et très faible, il existe des produits antiparasitaires externes acaricides avec AMM pour la prévention et le traitement des tiques. Ces produits appartiennent à la famille des amidines (Amitraz), organophosphorés (Phoxim, Dimpylate) et pyréthrinoïdes (Deltaméthrine, Fluméthrine, Cyperméthrine), et existent soit en solution externe à pulvériser, soit en Pour-On.

Il ne saurait être question de couvrir les animaux sur la totalité de la période herbagée par des traitements nombreux et coûteux mais plutôt de réaliser des traitements ciblés, en premier lieu curatifs sur les animaux infestés, puis préventifs sur des périodes clés qui correspondent aux périodes d’activités maximales des tiques (avril/mai et septembre/octobre).

Par ailleurs, ces dernières années, de nombreux seaux et blocs à lécher de minéraux contenant de l’ail (ex : Nutri V-Phyt®) ont été mis en avant pour leur efficacité en tant que répulsif sur les insectes piqueurs et en particulier les tiques. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un médicament avec des batteries d’essais qui prouvent cette efficacité, les retours de terrain semblent bons voire unanimes. Ce type de compléments nutritionnels peut donc tout à fait être employé parallèlement aux traitements classiques.

  • Un troisième axe basé sur l’obtention d’une immunité de prémunition : « jeter les génisses dans la gueule des tiques »

L’une des particularités essentielles à connaître dans la lutte contre les tiques est qu’on ne cherchera pas forcément à éviter le contact avec l’ensemble des animaux mais au contraire à l’encourager pour les jeunes (génisses de moins de 15 mois). En effet, pour les 2 maladies vues dans la partie précédente, il existe ce que l’on nomme une immunité de « prémunition ». Un état de prémunition est un état dans lequel le parasite persiste à bas bruit et sans aucun symptôme chez l’animal. Ceci permet à l’animal de résister aux ré-infestations, en tout cas contre les souches locales. Ainsi, si une génisse de 10 mois reçoit une tique qui lui inocule l’agent de la piroplasmose ou de l’ehrlichiose, elle va faire une infection inapparente chronique avec persistance de l’agent infectieux et elle sera protégée pour la suite de sa carrière. Ceci explique à contrario pourquoi les animaux les plus fréquemment victimes de ces maladies sont les animaux adultes achetés, et notamment les taureaux reproducteurs, qui n’ont pas été soumis à ces maladies dans leur élevage d’origine.

L’apparition de cas sur des vaches originaires de l’élevage reste tout de même possible. Il suffit pour cela que la vache en question n’ait pas été soumise dans sa jeunesse à des tiques porteuses de l’agent infectieux et qu’elle le rencontre pour la première fois à l’âge adulte suite par exemple à des déplacements de chevreuils qui ont « déplacé les tiques » par la même occasion.

En résumé, la stratégie de lutte est la suivante : faire pâturer volontairement les jeunes animaux jusqu’à 15 mois sur les prés à risques et conserver des traitements antiparasitaires externes (+/- des blocs à l’ail) sur les animaux adultes, en particulier ceux achetés récemment. Il est également possible, dans certaines circonstances, de réaliser une chimioprévention avec le Carbésia® à la mise à l’herbe, par exemple sur un taureau de valeur qui va rencontrer un pré à tiques pour la première fois. Cette protection dure environ 1 mois.

Pour plus d’informations, contactez votre technicien.